Création 2025
Étapes de travail publiques :
- 12 octobre 2024 – 14h00 – Bruxelles (Salle 163 Croissants à Forest)- accès libre, réservation souhaitée
- 12 avril 2025 – 14h00 – Bruxelles (Maison-Poème à Saint-Gilles)
- 4 mai 2025 – 14h00 – Bruxelles (Le Labeur à Anderlecht)
Premières représentations à la Maison de la culture de Tournai les 17, 19 et 20 mai 2025 ; reprise chez les partenaires de coproduction en novembre 2025.
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Création collective – 2027
Sortie de résidence publique : 8 février 2025 – Maison-Poème à Saint-Gilles (Bruxelles)
Recherche de partenaires en cours
Contact production
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Sidérations
(De Facto a vingt ans en 2024)
Comment, en ce début d’été, partager avec vous notre enthousiasme au travail et notre grande impatience à vous retrouver bientôt, alors que l’actualité politique est si profondément anxiogène, inédite et glaçante ?
Comment « communiquer » (youpie, tralalère, ça va être super) quand on est littéralement sidéré·es (ceci ne peut pas réellement être en train de se produire) ?
Peut-être en faisant le détour par notre histoire ?
Peut-être en nous rappelant que le plateau, conçu comme lieu d’échanges, a été, est et sera, vaille que vaille, le lieu de notre engagement, aux sens physique comme éthique du terme.
Alors voici une tentative.
Celle du récit des origines de notre compagnie vu par le prisme de l’antifascisme.
Ma première expérience de mise en scène date de la saison 2002-2003. Alors étudiant à l’ULB, avec un camarade presque aussi inexpérimenté que moi, nous animions joyeusement l’atelier-théâtre du Cercle de romanes.
Au printemps 2002, nous avions à choisir la pièce de l’année suivante et nous nous trouvions en état de sidération : Jean-Marie Le Pen venait d’accéder au second tour de l’élection présidentielle française. Vingtenaires, nous suivions alors de près la politique française, plus largement médiatisée, plus facile à appréhender, plus réductible à des enjeux idéologiques immédiatement cernables, que celle qui nous concernait plus directement, nous, jeunes wallons vivants à Bruxelles depuis peu.
Avec Nicolas (le camarade en question), face à cette menace inédite qui pesait sur nos voisins et nous pétrifiait, prendre la parole à propos d’autre chose nous semblait impossible. Nous avons donc choisi Brecht : La résistible ascension d’Arturo Ui d’une part, le diptyque Celui qui dit oui / Celui qui dit non d’autre part (les deux pièces courtes encadrant sous l’apparence d’un prologue et d’un épilogue la « grosse pièce » retraçant la montée du nazisme dans l’Allemagne du début des années 30).
Un peu solennellement mais aussi déjà convaincus par l’importance de l’adresse, on avait donné pour titre à l’ensemble J’ai quelque chose à vous dire. Un de nos professeurs, le grand historien des nationalismes José Gotovitch, avait accepté d’enregistrer pour nous en voix off le texte des cartons brechtiens que nous diffusions sur des images d’archives muettes de l’Allemagne hitlérienne. José Gotovitch est décédé en février dernier et sa disponibilité à notre égard m’émeut encore aujourd’hui, lui dont les convictions étaient si superbement contagieuses.
Un an plus tard, nous montions dans le même cadre Café des patriotes, de Jean-Marie Piemme, pièce où, sur fond de Belgique meurtrie par des attentats, un jeune couple de notre âge se trouvait confronté à deux visages de l’extrême droite : l’une joviale et populiste (un patron de bistrot aux idées rapides), l’autre intellectuelle et inquiétante (un conseiller de l’ombre calculateur et cynique). Notre groupe était soudé, déterminé, nous travaillions dans la joie et l’idée ancrée profondément que le théâtre changeait celles et ceux qui s’y rassemblaient, dans la salle comme sur la scène.
Ces textes de Brecht et de Piemme auscultaient les compromissions pour tenter de comprendre l’attrait qu’exerce parfois le danger majuscule et pour approcher le mystère qui pousse certain·es à choisir librement des représentants liberticides, ontologiquement malhonnêtes et héritiers de criminels qui s’assument, prônant et organisant l’inégalité entre les individus et discriminant violemment certains groupes sociaux. Les compromissions auscultées étaient celles de la bourgeoisie, des milieux d’affaires, des vénaux, des lâches et celles, bien plus tristes, des aveugles manipulés et des laissé·es pour compte qu’on n’entend plus.
C’était il y a vingt ans, en 2004, année de la fondation de notre compagnie.
L’antifascisme est constitutif de notre théâtre.
Probablement, l’antifascisme est constitutif du théâtre-même, cet art de l’Altérité, qui n’a de sens et de force que dans la rencontre du Différent.
En affirmant depuis vingt ans et presque autant de spectacles notre désir d’entrer en contact avec nos contemporain·es, pour partager nos angoisses et nos refus, mais aussi notre aspiration à regarder le monde en face, avec ses injustices insupportables, ses mécanismes qui créent les laissé·es pour compte, ses fonctionnements paradoxaux et ses émotions fortes dans la rencontre, nous avons cru, humblement mais fermement, oeuvrer à une société plus libre, plus joyeuse, peut-être même plus belle par instants.
En vingt ans nous n’avons pas changé (ou si peu).
Notre sidération face à la réalité politique est plus forte encore aujourd’hui qu’en 2002. Et notre désir de (faire) théâtre n’en est que vivifié.
Sommes-nous de petits Don Quichotte qui s’ignorent ? Au moment où la menace de gouvernements alliant l’extrême droite aux ultra-libéraux est imminente (dans le pays où nous avons le plus joué nos pièces comme dans celui où nous les créons), notre réflexe premier est de réaffirmer par nos spectacles et nos manières de les monter notre refus catégorique de voir s’appliquer des politiques discriminatoires, inégalitaires et liberticides.
Nous battons-nous contre des moulins à vent en opposant aux phrases racistes et anti-chômeurs que la droite emprunte aux fascistes pour gagner des électeurs, un travail de fond, le plus rigoureux possible, où la complexité du réel est abordée sans oeillères mais avec considération pour l’Autre (Celle et Celui dont on parle comme Ceux et Celles à qui l’on s’adresse) ?
Dans le fracas mondial, face à l’effroi de Gaza ou au Grand Déni écologique, c’est infiniment rien bien sûr. Mais quoi faire d’autre que s’engager du mieux qu’on peut là où l’on est ? Et, tel Alonso Quijano sans doute, armé des seules forces de l’imagination (mais quelles forces), tenter de porter cet engagement avec tout le sens de l’honneur et toute la flamboyance dont nous sommes peut-être capables.
Les spectacles que nous préparons actuellement et auxquels nous vous convions pour plusieurs étapes de travail (avant une première à Tournai en mai prochain et une reprise à Bruxelles, Mons et La Louvière en novembre suivant) ont cette ambition là. Ils interrogent notre héritage, exercent un droit d’inventaire du passé pour notre présent, tentent de comprendre le sentiment nationaliste, dissèquent l’étrange « fédéralisme de désunion » qui caractérise notre État ces dernières décennies. Et ils le font avec un élan que rien n’atteint, un désir plus fort que jamais. Peut-être devons-nous désormais aussi les envisager au plus près des lieux de lutte du quotidien.
Nous souhaitons à chacun·e tout le courage possible pour les temps qui arrivent, et particulièrement à toutes celles et ceux qui savent leurs droits désormais directement menacés. Nous pensons à vous.
antoine
illustration : James Ensor – Le Christ marchant sur les eaux (détail), 1883